Le Romantisme

Mes rêves

Antoine Fontaney (1803-1837)

Ne vous offensez pas que votre indifférence
Dans mes songes pour moi se transforme en amour ;
Si la nuit à mes yeux fait briller l'espérance,
Ils sont mouillés de pleurs quand je les rouvre au jour.

Répandant sur mes sens votre douce influence,
Vous offrez-vous à moi dans un rêve enflammé ;
Il me faut redescendre encore à l'existence,
De ce divin séjour où vous m'aviez aimé.

Ah ! S’il est de la mort un emblème fidèle,
Ce sommeil bienfaiteur qui vient fermer nos yeux,
Puisse le mien bientôt être éternel comme elle !
Il m'a fait pressentir les voluptés des cieux !

Par lui du firmament j'ai franchi la barrière ;
Les Anges près de vous célébraient le Seigneur ;
Vous avez dans leurs voix reconnu ma prière :
Où serait ici-bas l'ombre d'un tel bonheur ?

Dans cette vie au moins embellissez mes songes,
Et ne m'enviez plus les erreurs du sommeil ;
Si vous m'apparaissez avec ses doux mensonges,
Ne suis-je pas assez puni par le réveil ?

Analyse:

Le poème Mes rêves d'Antoine Fontenay, poète romantique du 19ème siècle, aborde le thème du rêve à travers le désir et le fantasme. L'auteur exprime une certaine douleur due à un amour passé qui s'est probablement terminé abruptement et un désir de s'évader loin du présent.

Ce poème est composé de cinq quatrains en alexandrins comme les deux autres poèmes  romantiques analysés (les alexandrins sont typiques pour cette époque.) Ceux-ci sont aussi bien munis d'une césure en leur milieu. L'auteur a probablement décidé d'utiliser ces vers à douze pieds pour nous faire comprendre sa douleur, la faire languir. Il voulait sûrement une progression plus lente pour traiter de sujets plus moroses. Les rimes ici sont croisées pour chacune des cinq strophes.

Ce poème raconte l'histoire d'un homme qui rêve d'une femme. Il fantasme sur elle tout sachant que sienne elle ne sera jamais. Dans presque l'entièreté des strophes du texte, il semble que l'homme exprime une immense joie dans les deux premiers vers et que dans les deux derniers, il se rend compte que la réalité est bien différente. Il y a donc un contraste assez intéressant et presque antithétique où il expose la joie suivie d'une douleur vive. Le personnage semble de plus être en demande constante d'un pardon, comme s'il avait commis un grand mal. Dans la dernière strophe, il est sur ses gardes et prie à sa dame de ne pas lui faire de mal, comme s'il avait déjà assez souffert. Ce poème est donc très mélancolique et bien qu'il possède quelques teintes romantiques, il semble beaucoup plus pervers.

Quant à l'auteur, Antoine Fontaney, il a vécu modestement pendant 34 années à Paris, en France. En 1833, à 30 ans, il s'éprend Gabrielle Dorval, une jeune fille de 18 ans, mais la mère de cette dernière refusa leur union. Le jeune couple s'enfuit donc en Espagne où les deux meurent de la même maladie, en 1837, la phtisie, une forme de tuberculose. Ce poème pourrait être écrit durant les quelques semaines de délai entre la mort de Fontenay et de celle de sa bien-aimée où il réalise qu'il ne reverra plus jamais l'amour de sa vie. Il rêve donc d'elle, jouissant de leur amour maintenant défunt. Il pourrait s'excuser à cause des regrets qu'il a suite à la mort de Gabrielle; tout ce futur qu'ils avaient planifié et qui tombe maintenant à l'eau.

Finalement, ce poème appartient au romantisme, car il traite de caractéristiques telles l'aspiration vers l'infini, le désir d'évasion, la mélancolie et il aborde des thèmes comme le mal de vivre, le sentiment amoureux et le moi souffrant. Le rêve est aussi un thème assez important, car c'est à travers ces courts moments d'évasion qu'il peut être aux côtés de sa maintenant défunte bien-aimée. Ce poème utilise aussi des figures de style comme une antithèse où «la nuit à mes yeux fait briller l'espérance.» (La nuit ne peut faire briller quelque chose, c'est noir.) Il y a aussi un pléonasme quand «Ils (mes yeux) sont mouillés de pleurs quand je les rouvre au jour.»



Rêverie

Alfred de Musset (1810-1857)

Quand le paysan sème, et qu'il creuse la terre,
Il ne voit que son grain, ses bœufs et son sillon.
— La nature en silence accomplit le mystère, —
Couché sur sa charrue, il attend sa moisson.

Quand sa femme, en rentrant le soir, à sa chaumière,
Lui dit : « Je suis enceinte », — il attend son enfant.
Quand il voit que la mort va saisir son vieux père,
Il s'assoit sur le pied de la couche, et l'attend.

Que savons-nous de plus ?... et la sagesse humaine,
Qu'a-t-elle découvert de plus dans son domaine ?
Sur ce large univers elle a, dit-on, marché ;
Et voilà cinq mille ans qu'elle a toujours cherché !

Analyse:

Le poème Rêverie d'Alfred de Musset, poète romantique du 19ème siècle très marquant aborde le thème du rêve comme mentionné plus tard dans l'analyse en dénonçant la monotonie (attend) de la vie humaine d'une telle façon que l'auteur incite l'homme à rêver, à aller plus loin afin de mettre fin à «l'errance» des générations passées.

Ce poème est composé de trois quatrains en alexandrins. Ceux-ci sont bien munis d'une césure après le sixième pied. Ces strophes sont typiques d'un poème romantique où rimes et longueur sont encore de mise. Les alexandrins sont utilisé ici pour donner un rythme beaucoup plus lent et solennel. Ils sont de plus extrêmement utiles pour marquer la vie ordonnée des humains et la monotonie de celle-ci. Les rimes ici sont croisées et plates. Il y a aussi énormément de figures de style, comme une personnification de la mort :« Quand il voit que la mort va saisir son vieux» qui pourrait illustrer que personne n'est à l'abri de ce fléau, qu'elle est omniprésente.

Rêverie raconte l'histoire d'un homme, un paysan qui possède une terre qu'il cultive. Il est aussi marié à une femme enceinte qui attend un garçon. C'est une histoire qui peut facilement créer un sentiment d'appartenance aux gens «de tous les jours» et c'est un peu le but de Musset; démontrer que l'humain a vécu sur cette terre pour plus de cinq mille ans sans toi jamais trouver un but à sa vie, un objectif. Comme mentionné ci-dessus le poème est construit de façon à refléter la philosophie et la lignée de pensée de l'auteur: la vie semble lente, monotone, régulière, ordonnée et sans surprises. Nous agissons comme nos parents et nos grand-parents, nous n'avons plus de rêves. L'auteur a de plus utilisé le verbe attendre pour parler du fermier dans chacune des trois actions du poème (semer la terre, la naissance de son enfant et la mort de son père) ce qui peut nous démonter que Musset s'indigne de la passivité de l'homme et nous incite à rêver grand, à agir et à provoquer un changement.

Ce texte a été publié dans le recueil posthume d'Alfred de Musset, donc il est impossible de savoir à quelle période de sa vie ce dernier s'associe. Musset est cependant connu pour avoir entretenu une relation amoureuse de deux ans avec George Sand (qui d'ailleurs avait été l'épouse de plusieurs autres hommes dont Frédéric Chopin, fabuleux pianiste) et ce poème pourrait refléter un certain désespoir qui a frappé Musset après sa rupture avec sa bien-aimée.

Finalement, ce texte appartient au romantisme par le fait que Musset traite des caractéristiques essentielles comme le désir d'évasion, le Moi, la valorisation de l'individu et des thèmes essentiels tels que le moi souffrant et le mal de vivre. Il essaye de plus d'exprimer un nouveau point de vue, une nouvelle vision sur l'humanité, ce qui, à l'époque, pouvait être risqué. (Tout comme Charles Darwin.)



Rêves d'Automne

Alphonse Lamartine (1790-1869)

Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encore, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui
Je me retourne encore et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme et m'aurait répondu ? ...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyr ;
A la vie, au soleil, ce sont là mes adieux ;
Moi, je meurs et mon âme au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

Analyse:

Le poème Rêves d'automne d'Alphonse Lamartine, poète romantique du 19ème siècle ayant entre autres écrit Le lac, nous partage la thématique du rêve à l'aide d'un protagoniste qui pense à l'au-delà, la vie après la mort et des regrets qui accompagnent le décès.

Ce poème est composé de six quatrains en alexandrins qui sont bien munis d'une césure. Nous pouvons donc voir que Lamartine respecte beaucoup les règles déjà établies de poésie. Bien que les alexandrins soient de norme dans les poèmes romantiques, Lamartine les utilise dans son texte à bon escient. Leur longueur reflète la discussion soutenue et profonde que le personnage principal entretient avec la nature. Ils permettent de plus une progression beaucoup plus lente du poème, ce qui permet entre autres d'illustrer la solitude (et ô combien elle est longue) ainsi que la désolation du narrateur, deux sentiments qui nécessitent un rythme lent et taciturne.

Le poème ici, dans les premiers versets, raconte l'histoire d'un homme qui se promène dans le bois lors d'une journée d'automne désolante (reste de verdure, feuillage jaunissant et gazon épars). Autour de lui, de grands changements prennent place. Les feuilles tombent, le gazon jaunit, et tous ces changements illustrent la douleur vive que l'homme ressent. La nature se meurt et lui aussi. Lamartine a de plus choisi l'automne comme saison, car celui-ci précède l'hiver qui, bien sûr, ensevelit tout signe de vie. Le poète se sert aussi de mots appartenant au champ lexical de la mort tels que épars, deuil, douleur etc. Dans la deuxième strophe, nous pouvons voir que l'homme marche dans un sentier solitaire, seulement faiblement illuminé par un soleil pâlissant. Il est intéressant de noter la connotation négative et «faible» de la plupart des mots, tels que solitaire, pâlissant, faible et à peine, reflète les pensées et les sentiments très tristes qu'éprouvait Lamartine. Dans la troisième strophe, nous pourrions presque penser que l'auteur est en voie de commettre un suicide. Il parle de la mort et du dernier adieu qu'il va porter à la vie à la nature. Il la décrit comme expirant et avec un regard voilé. Dans la dernière strophe, l'auteur se compare à une fleur qui tombe et qui livre son parfum ou son âme au vent. Il dit ensuite «Je meurs», confirmant l'analyse de ce poème.

Ce poème possède comme caractéristique d'énormément personnifier la nature, comme si elle était une confidente, une amie à laquelle le personnage pouvait se confier pour une dernière fois. Le poète lui parle de ses espoirs, de sa vie, de sa recherche de l'amour et des regrets qu'il éprouve avant sa mort.

Le poème arbore une connotation morose, on dirait qu'à l'automne, tout est en voie de mourir, la vie s'étouffe. L'auteur aussi disparaît en souhaitant adieu à ce monde qui ne lui avait jamais été très accueillant, un monde où il peinait à trouver sa place. Il rêve d'une vie meilleure. Il est intéressant de connaître que vers la fin de sa vie, Lamartine avait vécu dans une pauvreté et une douleur profonde. Il subsistait en publiant des recueils de poèmes. Il lui arrivait souvent de s'adresser à la nature, comme dans son fameux poème Le lac. Le personnage dans ce poème pourrait donc représenter Lamartine lui-même.

Pour ce qui en est des figures de style dans ce poème, l'auteur utilise beaucoup de métaphores pour comparer deux termes sans utiliser de mots comparatifs (mot-outil). Ex: «C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire.»
Il utilise aussi une antithèse lorsqu'il parle de la douleur (négatif) qui plaît (positif): «Convient à la douleur et plaît à mes regards!»

Finalement, ce poème correspond à la période romantique, car il exprime plusieurs caractéristiques typiques de l'époque comme le Moi, le désir d'évasion, la mélancolie, le mal de vivre ainsi que de nombreux thèmes comme la nature, le mal de vivre et le sentiment amoureux. Lamartine est de plus l'un des auteurs les plus connus du romantisme. Ce texte pourrait correspondre à la définition de la poésie de Paul Valéry qui disait que «La poésie, c'est le langage dans le langage.», car l'auteur a essentiellement abordé des sujets très tabous comme la mort et le suicide à l'aide d'un vocabulaire éloquent et descriptif. Ce poème n'aurait jamais pu exister s'il était rédigé en texte continu.


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